Lors de mon tout premier voyage en Tanzanie, alors que nous terminions notre dîner dans une « tented lodge » incroyable, perchée sur le versant d’une forêt qui ressemble à l’image que je me faisais de la jungle, Mafia, le Manager avec qui nous papotions depuis le début du dîner nous dit : “en fait, la seule chose qui vous intéresse, vous les touristes, ce sont les animaux” !!!  “Pourquoi dis-tu ça”, lui demandais-je interloquée… après tout, nous venions de passer la dernière heure à parler avec lui, à nous intéresser à lui, sa vie, sa famille, son travail, ses espoirs, ses buts… “Parce que les touristes ne viennent que pour voir les animaux sauvages ! Ils ne rendent jamais visite aux gens dans les villages”, nous répondit-il attristé. 

C’est là que mes aventures tanzaniennes ont vraiment commencé 🙂

Nous avons alors expliqué à Mafia qu’il ne nous semblait pas du tout à propos de déambuler dans les villages, tels des visiteurs de musées, que nous savions que la population non-exposée au tourisme vit avec trois fois rien et que d’afficher notre “blancheur”, notre « richesse » nous paraissait vraiment déplacé…. Ce à quoi il nous a répondu, qu’au contraire, les gens du village seraient heureux de rencontrer des touristes, de pouvoir « parler » avec eux (notre Swahili était alors non-existant !), de partager avec eux leur manière de vivre, plutôt que de juste les voir passer dans leurs Jeeps de safari.

Mafia a donc arrangé pour qu’Ernest, un tanzanien qui travaille à temps partiel dans la lodge, nous emmène à la rencontre des villageois le lendemain matin, après notre petit-déjeûner.

La première famille à qui nous avons rendu visite, au sommet de la colline, est celle-ci .

Nous y avons été accueillies comme si nous étions des membres de la famille qu’ils n’avaient pas vues depuis longtemps. Ils nous ont montré leur lopin de terre, leur maison en torchis, composée d’un endroit borgne, faisant office de cuisine où un feu fumait plus qu’il ne brûlait, l’endroit où ils dorment en famille (9) avec les chèvres. Le chef de famille nous a invitées à partager le repas de fête qu’il avait demandé à son épouse (poisson séché bouilli), puisque nous étions les premiers blancs à franchir le pas de leur porte.

En sortant de chez eux, ils nous ont remerciées, embrassées, la grand-mère avait la larme à l’œil et nous étions en vrac, des larmes de reconnaissance, d’impuissance, d’injustice, je me suis sentie démesurément privilégiée, sans raiment l’apprécier et beaucoup trop centrée sur ma petite personne…. Chez moi, en Suisse, aurais-je ouvert ma porte à des touristes de passage ? Certainement pas….

Nous avons continué à descendre la colline en nous arrêtant à chaque demeure. Très vite, les enfants du village nous entouraient, nous accompagnaient en insistant pour que nous allions saluer leurs parents, ceci après nous avoir demandé si nous avions des bonbons, des stylos, des livres. Ce que bien entendu, nous n’avions pas, jusqu’à ce que nous découvrions l’épicerie du coin qui fut rapidement dévalisée de son maigre stock de bonbons.

 

Dans une des demeures du village, une très vieille grand-mère de plus de 90 ans (à savoir que la plupart des tanzaniens n’ont pas de pièce d’identité et ne savent pas à quelle date, ni en quelle année ils sont nés) nous a montré comment elle transformait des grains de blé en farine, à l’aide d’une pierre lisse et d’une autre faisant office de mortier. Touchées par tant de travail pour récolter quelques grammes de farine, nous luis avons donné un peu d’argent, le seul soutien immédiat disponible… c’est en larmes qu’elle a chanté et dansé d’allégresse, nous entraînant avec elle dans l’expression de sa joie.

Au bas de la colline, la dernière maison que nous avons visitée était celle d’un homme et de sa très grande famille. Il nous a présentées à ses enfants et à sa deuxième épouse. La plupart des tanzaniens sont chrétiens, ils sont tous très croyants mais adaptent leur religion à leurs besoins vitaux : la première épouse de cet homme était alitée depuis longtemps,  gravement malade. Nous n’avons pas pu la rencontrer, personne ne savait de quoi elle souffrait. Etant donné que sa première épouse ne pouvait plus s’occuper ni de la maison, ni de son mari, pas plus que de ses enfants, cet homme a donc pris une nouvelle épouse….

Epuisées par tant de découvertes et d’émotions, nous sommes remontées à notre point de départ, cette « tented lodge » incroyable où un jus frais de mangue-passion nous attendait. J’étais à nouveau dans “mon monde”, dans ma zone de confort, qui ne me semblait plus si confortable et surtout qui avait bien moins de sens que quelques heures auparavant. J’avais pris une vraie claque ! 

En racontant à Mafia et ses collègues notre périple, nous avons appris que la plupart de ces villageois vivent, par maison, avec moins d’un-demi dollar par jour. J’étais choquée, surtout parce que nous venions de payer une nuit en tented-lodge, l’équivalent de 20 mois de nourriture pour une famille, totalement indécent ! 

Je venais de faire mon premier pas dans l’économie double des pays en voie de développement ! Un niveau de vie pour les locaux, un niveau de vie pour les touristes. Un prix pour les locaux, un prix pour les touristes. Le seul lien existant entre ces deux mondes est créé par ceux qui arrivent à trouver un job dans l’industrie du tourisme, ceux qui travaillent d’arrache-pied pour envoyer leurs enfants à l’école, afin de leur assurer un avenir meilleur….

Je venais donc de faire connaissance avec l’économie double, je venais aussi de faire connaissance avec des villageois dont la gentillesse, la joie et les sourires m’ont accompagnée longtemps…. Je suis retournée dans ce village à plusieurs reprises, le prétexte était facile : je leur apportais des vêtements, des stylos, des cahiers (pas de bonbons pour ne pas faire concurrence à l’épicerie locale !) bref, quelques trucs pour rendre leur quotidien très légèrement plus plaisant. Et eux ont entretenu le sentiment qu’ils avaient déclenché, celui d’appartenir…. 

Cette visite de village m’a beaucoup appris… à ce jour, je suis encore reconnaissante à Mafia d’avoir fait ce commentaire que j’avais alors trouvé étrange…..

Et il nous restait 4 jours de vacances en Tanzanie ! 

 

 

 

 

 

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